lundi, mai 14, 2007

L'énigme Mallarmé

Je termine actuellement Ô Verlaine de l'excellent Jean Teulé. Et c'est avec plaisir que j'ai découvert un chapitre exprimant à la perfection ce que je ressens face à certaines oeuvres de Mallarmé. Alors pourquoi ne pas joindre l'utile à l'agréable en mettant ici ce fameux extrait?


Stéphane Mallarmé habitait au 89 de l'inquiétante rue de Rome près de la gare Saint-Lazare. Au quatrième étage, il occupait, avec sa femme et sa fille, un modeste appartement souvent retentissant du sifflement des locomotives qui s'engouffraient dans le tunnel des Batignolles. Il ouvrit sa porte:
- Tiens? Bonjour Cazals.
Frédéric-Auguste fit les présentations : " Henri-Albert Cornuty, un ami de ... "
- Ah, c'est vous... , sourit l'auteur de l'Après-midi d'un faune. La chair est triste, hélas ! et j'ai mangé tous les Verlaine...
Henri-Albert ne comprit rien du tout.
Stéphane Mallarmé le regarda de ses yeux doux. Un bon visage de monsieur avec de grandes oreilles. Une chevelure sage et crantée, des moustaches et une barbiche. Cravate en soie noire nouée au col de sa chemise blanche sous une veste épaisse. Et aux épaules, une écharpe, pliée en deux, jetée artistement : " Entrez. " Henri-Albert se sentit mal à l'aise et gauche face à ce poète aux allures de professeur qui l'observait attentivement.
Pourtant Mallarmé était délicieux. Poli, courtois, élégant, un peu merveilleux... cherchant toujours à mettre les autres en valeur. Mais souvent ses propos étaient obscurs et très énigmatiques. Il avait de ces singulières expressions à trois bandes quasi impossibles à décrypter. Dans son petit salon, où des poètes assis dans des fauteuils buvaient du thé et acquiescaient, il employait des mots comme : sylphe, nonchaloir, mandore, complies, lampadophore, hoir, auxquels Henri-Albert ne comprit rien. Et ça l'énerva tandis que Mallarmé lui tendait un bocal de bonbons :
- Ainsi donc, c'est vous le fervent petit admirateur du néphélobate?
Cornuty leva un sourcil, se demandant si c'était une vanne.
- Ca veut dire "celui qui marche sur les nuées", lui souffla Cazals à l'oreille.
- Alors pourquoi il ne le dit pas ? grommela Henri-Albert.
Ce n'était pas un soir où il fallait le gonfler, le petit tueur des abattoirs de la Villette qui scrutait partout l'appartement. Il n'était pas d'humeur. Lui, tout ce qu'il voulait savoir, c'est où était Verlaine :
- Il est où Verlaine?
Mallarmé répondit:
- Verlaine? Mais il est caché parmi l'herbe, Verlaine.
Alors là, c'était sûr, l'autre, à tête de professeur, se foutait de sa gueule ! Cornuty hésita entre choper les assiettes d'étain sur le buffet pour lui détruire le cervelet ou se jeter sur lui pour le passer par la fenêtre de son quatrième étage. Cazals l'arrêta : "Calme-toi. Je crois qu'il a dit un compliment..."
- Ah bon ?
- Ca doit vouloit exprimer que la poésie de Paul est subtilement dissimulée dans le quotidien des choses... dans le tremblement d'un verre d'eau, dans la buée à une fenêtre...
" Alors pourquoi il ne le dit pas ? ! " fit Henri-Albert, quittant l'appartement sans saluer personne.


9 commentaires:

Autruche tout court a dit…

Comme c'est primitif comme reaction de la par de ce chere Cornuty.
Mallarmé c'est ... bzzzzzzzzzzzzzzz

Anonyme a dit…

Amusant lecture.. Je connais des personnes tel que Cornuty.. simple, mais de bon coeur

Anthä a dit…

Les meilleures! ^^ Et connais-tu Mallarmé? En fait il est le James Joyce français. Et je ne sais pas comment vous percevez le langage de Finnegan's Wake par exemple, vous, les anglophones! Ca m'intéresserait de savoir, tiens!

Anonyme a dit…

Oui, je connais Mallarmé, mais pas très bien. C'est à dire que j'avais lu des critiques mais pas un de ses oeuvres. Je suis en train de lire des écrivains français en français. Je n'ai lu jusqu'ici que les oeuvres de Voltaire, Victor Hugo, Stendhal et maintenant, Balzac.

Pour James Joyce et Finnegan's Wake.. Je ne comprends pas tous ce qu'il disait, main non! Il utilize les mots porte-manteau et puis il y a des reférences aux choses d'Ireland et chai pas quoi. En plus c'est un sort de "stream of consciousness" avec James Joyce.

Et puis chaque personne que j'avais rencontré qui disait qu'ils comprennent Finnegin's Wake, je leurs demandent de m'éxpliquer certains aspects et je trouve qu'ils ne comprennent pas non plus! ;)

John-John Watercolor a dit…

Beurk Balzac est d'un chiant ! Lis Boris Vian sous son nom ou sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, c'est moins "classique" mais tout aussi bon !

John-John Watercolor a dit…

Ou Théophil Gaultier, c'est l'Edgar Poe Français...enfin cet avis n'engage que moi^^.

Anthä a dit…

A quelles oeuvres tu penses par exemple pour dire ça? Ca m'intéresse, parce que notre ami Théophile, je ne l'ai pas beaucoup fréquenté en fait. C'est de lui "La morte amoureuse"?

Tiens!! Ca me donne une idée de post d'ailleurs!

Anonyme a dit…

Merci pour les "suggestions" JJ.

John-John Watercolor a dit…

Gautier et non Gaultier, veillez m'excuser. Quand au livre, c'est en fait un recueil de nouvelles, "Récits fantastiques" (du moins il me semble, je ne l'ai pas sous la main) ou effectivement on retrouve la Morte amoureuse.