Last Days, Gus VAN SANT
Beaucoup de fans de Nirvana ont été déçus de ce nouveau film de Gus Van Sant. On peut sans doute dire merci aux médias, et aux fans bêtes et méchants qui n'avaient retenu que le nom de Kurt Cobain dans le sujet du nouveau film du cinéaste qui, lui, précisait bien que l'intéressait surtout le fait divers que constitue le suicide du chanteur, et ce qui a pu se passer dans son esprit les jours précédents. Et les journaux, avides de sensationnel, de laisser traîner leurs oreilles opportunisto-distraites, et d'ainsi associer le nom d'Asia Argento à la figure de Courtney Love et le reste du casting aux membres du groupe. Voilà Gus Van Sant affublé de la lourde tâche de réaliser une simple reconstitution, de celles qui seraient susceptibles d'être la figure de proue d'une soirée-théma d'Arte le dimanche soir, tout au plus. Un parcours guidé pour fans feignants, qui aimeraient les compils illustrées.
Les premières images apparaissent, le visage sous ses cheveux blonds et le reste perdu dans son grand pull rayé rouge et noir, Michael Pitt fait illusion à la perfection ; Gus quant à lui, reste réservé, avoue puiser l'inspiration dans l'histoire de Kurt, et brouille les pistes jusqu'à modeler son acteur en parfaite réplique du chanteur, accessoires à l'appui. Mais quand on connaît l'animal et son Elephant, on se méfie ("inspiré" de la fusillade de Colombine, il n'en est pas la reconstitution exacte). D'ailleurs, aucune photo d'Asia en blondasse barbouillée de rouge à lèvre, son poupon sous le bras et les cernes jusqu'au milieu des joues, pas d'éventuels Dave Grohl ou Chris Novoselic... Gus, lui, livre apparemment ce que l'on veut qu'il dise, docile en apparence, mais le regard amusé. Etrange.
Puis un mardi soir, on s'assoit dans la salle de cinéma en ayant pris soin de rester vierge de toute lecture critique, mais ayant aussi pris celui d'amasser une jolie petite collection d'articles pour la fin de soirée. Et là, on découvre un film magnifique de pudeur, de poésie et effectivement impreigné de Kurt Cobain. Blake porte ses traits, c'est indéniable, et sa musique s'en rapproche beaucoup, ça ne l'est pas moins. Sa démarche, son regard, sa façon de jouer, ses menus (les fameux macaroni au fromage et au lait qui font tant jaser les fans), sa dépendance à la drogue (toujours suggérée), sa femme et sa fille absentes mais évoquées dans le film, sa narcolepsie...
Et puis on se laisse porter par l'ambiance, les allées et venues de Blake, ses grommellements le fourmillement des visiteurs et habitants de la maison. On n'oublie pas la figure de son "idole" si facilement alors on laisse parfois se mélanger le visage de Michael Pitt et celui de Kurt. Mais on découvre également Blake, on s'attache à lui, cet hectoplasme déjà mort pour ses colocataires, qui ne l'aperçoivent même plus, uniquement quand ils ont besoin de lui. On le regarde, on l'écoute, et on le ressent: le son est très important, très présent dans Last Days. Normal me direz-vous pour un film dont le héros est un musicien. Mais ici, c'est la collaboration avec Hildegard Westerkamp (encore "les portes de la perception", comme dans Elephant) qui est la plus remarquable: ces bruitages semblent directement émaner de l'esprit de Blake, ce qui nous le rend d'autant plus proche. Puis arrive cette scène superbe (la plus belle et la plus impressionnante du film) où l'on commence à saisir ce qui nous fascine: la maison est déserte, Blake/Michael pénètre dans la salle de musique et se met à jouer alors que la caméra et son réalisateur se tiennent à l'écart et l'aperçoivent se démener derrière la fenêtre. On se rend compte alors que c'est la pudeur avec laquelle Gus Van Sant capte les moments les plus intimes de son personnage qui nous émeut tant. On continue alors à se laisser porter. Jusqu'à la fin, connue de tous, mais encore une fois interprétée par le réalisateur, où la violence des faits réels se transformée en envol poétique d'une âme confinée dans un esprit fatigué (non, Blake ne se sert PAS de sa carabine ). Les "chanteurs du roi" chantent la "victoire" de Blake sur ce monde, et celle de Gus Van Sant sur les fans les plus malveillants.
Car si les derniers détails de la vie du chanteur sont repris de façon méticuleuse, il le sont pour mieux nous tromper: Gus Van Sant choisit de porter à l'écran la seule partie de la vie de Kurt Cobain qui ne soit connue de personne. Disparu aux yeux des médias, de son entourage, de sa famille même (Courtney Love avait fait engager un détective privé pour le retrouver, autre détail présent dans la fiction), les seuls éléments que l'on a pu connaître de ces "Last Days" sont ceux qui ont été mis à jour par les enquêteurs. Le réalisateur est alors libre de laisser cours à son imagination, son intuition pour finalement nous laisser cette touchante interprétation, contenue toute entière dans l'une des dernières images de ce petit chef d'oeuvre: l'esprit angélique de Blake matérialisé sort de son corps, pour grimper aux traverses de la porte-fenêtre, et s'élever par le biais de cet "escalier pour le paradis". Alors que ces mêmes fans bêtes et méchants arrêtent de râler car on n'entend aucune des chansons de Nirvana, qu'on ne voit pas les autres membres du groupe, qu'on ne voit pas de scène de concert, qu'on ne voit pas Courtney Love... Il existe des documentaires, des live du groupe qui seront, cette fois-ci on ne peut plus fidèles à la réalité. Et quel plus bel hommage un fan peut-il espérer que la tranfiguration de son idole en un si bel ange?
J'ai énormément aimé Last Days, je suis une fan de Nirvana de la première heure.
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